Un petit bout d’histoire
Le nom de Gevrey-Chambertin résonne à travers l’histoire de France, tant ce patrimoine lié au vin est à la fois riche et singulier.
C’est le plus grand vignoble de la Côte d’Or (550 ha). Le « vin de roi, le roi des vins » comme l’écrivait Victor Hugo, bu et adoré par Napoléon Ier, se positionne en haut d’une pyramide qualitative et affective de façon séculaire et mondiale.
En 2008 et 2009, des fouilles à Gevrey-Chambertin mirent en lumière que les plus anciennes traces de la viticulture en Bourgogne remontent à la fin du 1er siècle.
La première mention viticole de « lieu-dit » remonte à 640 et concerne précisément le Clos de Bèze à Gevrey-Chambertin (cultivé par des moines de l’ordre cistercien).
La notion de « climat » agraire, dans le langage des officiers royaux, date quant à elle du Moyen Âge (moitié du 16ème siècle) et concerne en premier chef le Chambertin.
La confrérie du Tastevin
Le Moyen Âge voit apparaître ça et là nombre de sociétés de secours mutuels faisant office de sécurité sociale pour les vignerons. En Bourgogne, chaque confrérie possède la statue de son Saint Patron, accueillie dans une famille différente du village année après année. C’est en 1938 que la Confrérie des Chevaliers du Tastevin remet au goût du jour cette tradition festive, la Saint-Vincent Tournante, qui s’établit chaque année dans un village différent de la Bourgogne, tantôt au nord, tantôt au sud.
Les festivités débutent donc traditionnellement par le défilé des 90 confréries bourguignonnes qui se rassemblent pour l’occasion. S’en suit une messe solennelle à l’issue de laquelle, quelques anciens vignerons sont intronisés. C’est donc au coeur de l’hiver, hors phase végétative de la vigne, que les vignerons ont à coeur de faire découvrir leur production, témoin spirituel de leur région, dans une ambiance chaleureuse et conviviale.
Le cortège du défilé sera emmené par le Char du Roi Chambertin suivi des musiques ainsi que le Cortège des sociétés vigneronnes arborant bannières et leurs Saints Patrons.
A noter également que les climats du vignoble de Bourgogne dans leur ensemble est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis juillet 2015 (dossier introduit en 2006).
Parmi les événements viticoles ou « oenotouristiques » traditionnels et annuels, la Saint-Vincent tournante en Bourgogne tient, on peut dire, le haut de l’affiche.
En Bourgogne, je précise, car ce n’est pas la seule région viticole de France à mettre à l’honneur ses vignerons et son saint patron. Bordeaux, la vallée de la Loire, diverses initiatives sont ainsi organisées le dernier week-end de janvier pour la même noble cause.
Pour la 5ème fois (la St-Vincent Tournante fut organisée à Gevrey-Chambertin en 1947, 1960, 1980, 2000) la commune de Gevrey-Chambertin est désignée pour accueillir les 90 délégations bourguignonnes, vignerons, professionnels du secteur et touristes venant célébrer et déguster la production locale qui, pour cette commune, se focalise exclusivement sur le pinot noir. En effet, l’AOC Gevrey-Chambertin n’autorise que le pinot noir, que ce soit pour son AOC communale, ses climats non-classés, ses climats classés en Premier Cru (26) ou en Grand Cru (9).
Le concept de la Saint-Vincent comporte, comme illustré dans cet article, une partie folklorique (procession, messe d’intronisation, ..) et une partie plus festive… qui s’articule autour de la dégustation d’une sélection de crus. Cette année à Gevrey, 5 millésimes étaient proposés: 2018, 2017, 2014, 2013 et 2009.
Ces 5 vins sont les résultantes d’assemblages de plusieurs producteurs, mis en bouteilles et étiquetés pour l’événement. Les vins/millésimes proposés (non disponibles à la vente) étaient servis par des bénévoles dans différents caveaux répartis sur l’itinéraire. Chaque caveau ne servait qu’un millésime parmi les 5 prévus.
Concrètement, chaque participant souhaitant déguster le divin breuvage devait acheter un kit composé d’un verre, de 8 tickets et d’une carte reprenant l’itinéraire du cortège et emplacements des caveaux répartis dans le village. Le kit était vendu 17€, en pré-vente via le site officiel ou sur place. Chaque ticket donnait droit à une dose de 40ml (décision préfectorale) du cru en question. Libre à chacun, bien entendu, d’acheter davantage de tickets…
Les blancs servis sur l’itinéraire en marge des caveaux officiels étaient donc en appellation régionale AOC Bourgogne ou sous-régionale AOC Côte de Nuits.
Le petit mais très beau village de Gevrey-Chambertin s’est donc organisé pour accueillir pas moins de 80.000 personnes sur le week-end des samedi 25 et dimanche 26 janvier 2020. Plus exactement, ce flux touristique s’est réparti de façon relativement équilibrée sur les deux jours. Un périmètre piétonnier est bouclé au coeur du village afin de permettre aux visiteurs d’errer en zigzagant (ou pas) et d’admirer sereinement les magnifiques décorations des villageois.
Car s’il y a bien un point admirable et commun à toutes les Saint-Vincent tournante auxquels j’ai pu assister en Bourgogne, c’est la mobilisation villageoise et l’enclin naturel à décorer chaque maison sur le thème établi.
Parcelle Combe du Dessus, en face de l’Hôtel des Grands Crus
Vendredi soir, le village est prêt. La vigne est taillée. Sur le sol, quand ils ne sont pas utilisés pour la confection de la décoration des façades, les fagots de sarments attendent la petite flamme hivernale.
Sarments, bouchons, fleurs en papiers, figurines et santons, bouteilles, fûts, peintures, constructions florales en bois, etc.. l’imagination déborde littéralement des foudres afin de rendre hommage et d’embellir l’écrin accueillant.
L’ambiance est bon enfant. Devant les caveaux, malgré la foule, il ne faut généralement pas plus de 5 minutes de file pour être servi.
Il faut le souligner, la météo est favorable. Il ne pleut pas, il fait même beau. Froid mais beau ! Les paumes de mains réchauffent légèrement le vin comme le soleil illumine les sourires omniprésents.
La dégustation des crus était l’occasion de se remémorer la typicité de l’appellation. Le Gevrey-Chambertin est synonyme à la fois de puissance et d’élégance. Sans entrer dans les spécificités des climats et des classements (attendu que les vins proposés étaient des cuvées d’assemblage de « tout-venant »), si le 2013 présentait il me semble un déséquilibre en acidité, les millésimes 2017 et 2014 se sont montrés vraiment prometteurs (encore une fois, avec toutes les réserves qui s’imposent, si la production moyenne est à l’image de ce qui était proposé). 2009, ayant déjà acquis une certaine évolution n’a pas eu de mal à séduire, par ses délicats arômes tertiaires pointant le nez et ses tanins soyeux. Le 2018, par lequel nous avions commencé, était sur le fruit et cela va sans dire encore tendu.
Un mot du sol et des climats classés de cette commune de Gevrey-Chambertin, enclavée entre Brochon/Fixin au nord et Morey-St-Denis au sud.
La caractéristique majeure de Gevrey-Chambertin, c’est le morcellement des terroirs en aval de la combe Lavaux et dans une moindre mesure de la combe Grisard. Pour celles et ceux que cela intéresse, je vous invite à découvrir une vidéo expliquant très bien les différents types de terroirs de l’entité.
Gevrey-Chambertin en quelques chiffres:
- 3260 habitants
- 550 ha de vigne, pinot noir uniquement
- 87,15 ha en Grand Cru
- 85,57 ha en Premier Cru
- 368,31 ha en Gevrey-Chambertin Villages soit 71 lieux-dits
- 8,3 ha en appellation régionale (50 domaines actifs)
Gevrey-Chambertin est une appellation village de la Côte de Nuits. Elle comporte 26 climats classés Premier Cru. On ne les citera pas tous, épinglons par exemple: Combe au Moine, La Perrière, Poissenots, …
La production s’étale sur les communes de Gevrey-Chambertin mais également sur la partie sud de Brochon. On dénombre une multitude de climats cadastrés sans classement comme par exemple La Justice, Les Crais, La Brunelle, etc…
Mais cette appellation est surtout internationalement connue pour ses Grands Crus. La commune de Gevrey-Chambertin en produit 9 au total et donc tous rouges (pinot noir):
- Chambertin
- Clos de Bèze
- Mazoyières
- Charmes
- Griottes
- Chapelle
- Latricières
- Ruchottes
- Mazis
Au coeur du village, l’hôtel des Grands Crus, qui habituellement est fermé à cette période de l’année, a bien entendu ouvert pour l’occasion, sans pour autant affiché complet (volonté de la gérante qui a quelque souci de santé et en attente d’une intervention). Nous avons été très bien accueilli. Le petit déjeuner n’est pas vraiment à la mesure du 3 étoiles souhaité mais ce n’était pas le plus important. L’hôtel dispose d’une carte de vins disponibles à la vente, dont certains millésimes peuvent faire frémir les cartes de crédit les plus soutenues…
Particularité de l’hôtel, chaque chambre (sauf sous-mansarde) porte le nom d’un des grands crus précités.
Que dire d’autre si ce n’est faire un bref bilan chiffré de cette 76ème édition:
- 5 millésimes présentés
- 18.000 bouteilles
- 14 caveaux
- 4 restaurants (il faut s’y prendre suffisamment à temps pour réserver !!!)
- 18 food trucks
- 17 associations
- 800 bénévoles
- 80.000 visiteurs
Miam-Miam
Parmi les endroits incontournables du village, Place de la Mairie, le restaurant Chez Guy. Nous y étions allés pour notre voyage de noces en 2008, nous y sommes retournés à l’occasion de la St-V. Menu classique et très bien exécuté (oeuf meurette et coq au vin). L’assiette de fromage… peut mieux faire d’autant que l’époisse n’était pas la meilleure qu’il nous a été permis de manger. Au niveau de la carte des vins, le Gevrey-Chambertin communal commence à 80€…
Pendant les heures d’ouverture des caveaux (11-17h), le restaurant assurera également un service non-interrompu d’un menu à grignoter (soupe, sandwich au jambon persillé, oeufs en meurette) et de vin au verre (hors caveaux).
Quelques domaines
Premier vin dégusté sur la série de 5, le millésime 2018.